Nouveau coup de canif au principe de l’effet relatif des contrats
/ décembre 2, 2021
Le titulaire d’un lot d’un marché de travaux peut invoquer le manquement contractuel du titulaire d’un autre lot de la même opération.
CE, 11 octobre 2021, société coopération métropolitaine d’entreprise générale, n°438872
Par une décision rendue en chambres réunies le 11 octobre 2021 et publiée au recueil Lebon, la Haute juridiction administrative confirme et complète les conditions d’engagement de la responsabilité quasi-délictuelle entre intervenants à une même opération de construction.
Pour rappel, le titulaire d’un marché public de travaux relatif à une opération de construction peut engager la responsabilité quasi-délictuelle d’un autre intervenant à cette opération qui lui causerait un préjudice. Toutefois, en l’absence de contrat entre ces deux intervenants, la jurisprudence limitait les moyens invocables au non-respect des règles de l’art ou des obligations légales ou règlementaires [voir en ce sens : CE, 6 novembre 2020, Sociétés Ingérop et International offshore technical assistance Survey, n°428457]. Le principe de l’effet relatif des contrats empêchait ainsi au premier intervenant de se prévaloir des manquements du second à ses obligations contractuelles envers le maître d’ouvrage, alors même que ces manquements peuvent avoir de lourdes conséquences pour les autres intervenants de la même opération,
notamment en ce qui concerne le respect des délais d’intervention. La décision rendue le 11 octobre dernier par le Conseil d’Etat ouvre désormais cette possibilité !
En l’espèce, la société Coopérative Métropolitaine d’Entreprise Générale [CMEG] s’était vu attribuer le lot « gros œuvre » du marché public de travaux relatif à la réalisation du pôle éducatif et familial du lotissement Courbet au Havre. A la suite d’un retard de six mois dans la livraison de ses prestations, lequel lui avait causé un préjudice financier, la CMEG avait engagé la responsabilité quasi-délictuelle de la société Belliard, titulaire du lot « charpente », afin d’obtenir réparation. Les demandes de la CMEG avaient cependant échoué en première instance comme en appel en raison du principe de l’effet relatif des contrats qui ne lui permettait pas de se prévaloir des fautes contractuelles commises par la société Belliard dans sa relation avec la maîtrise d’ouvrage.
Le Conseil d’Etat infirme les décisions rendues par les juges administratifs de première et seconde instance en considérant que :
« Dans le cadre d’un litige né de l’exécution de travaux publics, le titulaire du marché peut rechercher la responsabilité quasi-délictuelle des autres participants à la même opération de construction avec lesquels il n’est lié par aucun contrat, notamment s’ils ont commis des fautes qui ont contribué à l’inexécution de ses obligations contractuelles à l’égard du maître d’ouvrage, sans devoir se limiter à cet égard à la violation des règles de l’art ou à la méconnaissance de dispositions législatives et réglementaires. Il peut en particulier rechercher leur responsabilité du fait d’un manquement aux stipulations des contrats qu’ils ont conclus avec le maître d’ouvrage. »
Nul doute que cette décision ne manquera pas de retenir l’attention des titulaires de lots de marchés publics de travaux relatif à une opération de construction qui s’estimeraient lésés par les manquements contractuels commis par d’autres intervenants à cette même opération.