Projet de loi 3DS : suivi des dernières évolutions apportées par l’Assemblée nationale sur le fonctionnement et les compétences des collectivités territoriales et de leurs groupements
/ décembre 23, 2021
Après le vote d’une version largement amendée par le Sénat au mois de juillet 2021, puis des ajustements substantiels en Commission des lois au cours de l’automne, le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation et portant diverses mesures de simplification de l’action publique est à présent examiné en première lecture par l’Assemblée nationale.
-> L’occasion donc de faire le point sur les dernières évolutions apportées côté rue de l’Université sur ce projet affectant le fonctionnement institutionnel et les compétences des collectivités territoriales et de leurs groupements.
De nouvelles précisions apportées au principe de différenciation
L’article 1er du projet de loi offre la possibilité pour certaines collectivités territoriales de bénéficier de règles différenciées en matière d’attribution et d’exercice de leurs compétences, cette différenciation devant alors être justifiée par une différence objective de situation entre collectivités relevant d’une même catégorie. Le principe, formalisé par un nouvel article L. 1111-3-1 au sein du Code Général des Collectivités Territoriales [CGCT], avait été approuvé par le Sénat et validé en Commission des lois.
Sans surprise, l’Assemblée nationale n’est pas revenue sur cette mesure phare, même si quelques précisions ont été apportées. Ainsi, outre les références déjà expresses et implicites au principe d’égalité, le législateur a également entendu préciser que les différences de traitement résultant de la mise en œuvre du principe de différenciation devront être proportionnées et en rapport avec l’objet des textes de loi qui les établissent.
Maintien du droit de proposition des collectivités territoriales et ouverture d’un droit à expérimentation pour la Corse
Pour rappel, le Sénat avait profité du vote de juillet pour préciser les contours et la procédure relative au droit de proposition dont disposent les conseils régionaux, ainsi que les assemblées de Corse, de Guyane et de Martinique, en vue d’obtenir une modification ou une adaptation des règles applicables à l’attribution et à l’exercice de leurs compétences. Cette démarche était mue tant par la nécessité d’intégrer le nouveau principe de différenciation que par la volonté de mieux encadrer la procédure et les suites données aux propositions des collectivités concernées. Mais surtout, le Sénat en avait également profité pour étendre ce droit de proposition aux départements !
Si la Commission des lois avait supprimé le délai de six mois imparti au premier ministre pour indiquer aux collectivités territoriales concernées les suites données à leurs propositions, la mouture approuvée par le Sénat au mois de juillet 2021 demeure sensiblement la même après son passage en Commission des lois et en première lecture à l’Assemblée nationale… ou du moins presque !
L’Assemblée nationale vient effectivement d’adjoindre à ce dispositif la possibilité, pour la collectivité de Corse, de saisir le Gouvernement afin que le législateur lui ouvre la possibilité d’expérimentations provisoires dérogeant aux règles en vigueur et destinées à prendre en compte les spécificités de l’île. L’expérimentation de ces dérogations pourra ensuite donner lieu à l’adoption de dispositions législatives plus appropriées à ce territoire insulaire.
L’ouverture toujours en demi-teinte d’un mécanisme général de délégation de compétence au profit des EPCI-FP
Pour rappel, il n’existe pas à ce jour de mécanisme de droit commun de délégation de compétences d’Établissements Publics de Coopération Intercommunale à Fiscalité Propre [EPCI-FP] à collectivités ou établissements publics, le CGCT ne prévoyant que des mécanismes sectoriels biens délimités. La délégation de compétence de droit commun, visée à l’article L. 1111-8 du CGCT, demeure ainsi aujourd’hui l’apanage des collectivités territoriales.
En intégrant la possibilité de délégations totales ou partielles de compétences des EPCI-FP au profit de collectivités territoriales, de syndicats de communes et de syndicats mixtes, le Sénat avait donc ouvert la porte en grand, porte qui avait cependant été à moitié refermée par la Commission des lois. Mises à part quelques très fines retouches, l’Assemblée nationale n’a pour l’heure cru bon de revenir sur le travail de la Commission.
Plus précisément la dernière mouture de l’article 3 du projet de loi envisage toujours un mécanisme de délégation de compétence limité à la réalisation ou à la gestion de projets structurants pour les territoires. Reste à savoir ce qu’est un projet structurant diront certains. Mais surtout, le périmètre des délégations demeure toujours soumis au filtre de la conférence territoriale de l’action publique qui devra, désormais dans un délai raccourci de douze à neuf mois suivant le renouvellement du conseil régional, débattre et arrêter à la majorité de ses membres le périmètre de délégations de compétences possibles jusqu’au prochain renouvellement général. Ce n’est donc que sur ce périmètre doublement limité que les EPCI-FP pourront envisager le recours à des délégations de compétences.
Ce nouveau dispositif est également susceptible d’interroger sur l’évolution des conditions de mise en œuvre de la délégation de compétence de droit commun de l’article L. 1111-8 du CGCT pour les collectivités territoriales. En effet, la conférence territoriale de l’action publique ne sera pas seulement appelée à se prononcer sur les délégations de compétence d’EPCI-FP à collectivités territoriales, mais également sur les délégations de compétences de collectivités territoriales à collectivités territoriales relevant d’une autre catégorie ou à EPCI-FP ! A notre sens, et en l’état du texte, la notion de projet structurant, qui est au cœur de ce nouveau dispositif, devrait, en dépit des incertitudes déjà relevées, permettre aux collectivités de continuer de disposer d’une bonne marge de manœuvre. Affaire à suivre donc…
Maintien d’une extension très limitée de l’intérêt communautaire pour certaines compétences des EPCI-FP
L’intérêt communautaire constitue une variable d’ajustement précieuse pour les EPCI-FP désireux de paramétrer les niveaux de transfert de compétences de l’ensemble de leurs communes de rattachement. Cette variable ne profite cependant pas à l’ensemble des compétences intercommunales, le CGCT identifiant clairement les compétences prises en bloc par les EPCI-FP, et celles pouvant être ajustées via l’intérêt communautaire.
La mouture approuvée par le Sénat avait introduit un article 4 ter soumettant à intérêt communautaire ou métropolitain de nouvelles compétences des communautés et des métropoles. Seules les activités funéraires, cinéraires et de crématorium en communautés urbaines avait toutefois survécu à l’examen de la Commission des lois. L’Assemblée nationale a maintenu l’approche opérée en Commission.
Pas de retour en arrière possible pour les transferts eaux potables, assainissement et eaux pluviales urbaines…
L’horizon ne paraît toujours pas s’éclaircir pour les tenants d’un abandon du transfert des compétences relatives au petit cycle de l’eau. Et ce n’est pas faute d’avoir essayé comme l’illustrent déjà deux propositions de lois, une question au gouvernement et… l’article 5 bis qu’avait introduit le Sénat dans la version du projet votée au mois de juillet 2021. Pour rappel, cet article prévoyait l’exfiltration pure et simple du petit cycle de l’eau du giron de compétences obligatoires des communautés de communes et d’agglomération tout en envisageant des restitutions de compétences pour les transferts déjà opérés. Rien que ça ! Pour la commission des loi, l’eau potable et l’assainissement en communautés, ainsi que l’eau potable, l’assainissement et les eaux pluviales urbaines en communautés d’agglomération, devait demeurer obligatoire et l’Assemblée nationale ne reviendra pas dessus.
Pour rappel, seules 33 % de communautés de communes ont d’ores et déjà intercommunalisé l’eau potable, ce chiffre s’élevant 41 % pour l’assainissement. Pour les autres communautés de communes, la possibilité d’un « report » du report au 1er janvier 2026, voire d’un abandon de transfert obligatoire demeure donc fermée à ce jour.
… Mais un maintien de l’extension de transferts partiels des compétences eaux pluviales urbaines et DECI au profit de syndicat de communes et mixtes
L’article L. 5211-61 du code général des collectivités territoriales permet aux EPCI-FP et aux Etablissements Publics Territoriaux [EPT] de transférer tout ou partie de l’eau potable et de l’assainissement, soit à un syndicat de communes ou mixte, soit à plusieurs syndicats situés sur différentes parties de leur territoire. L’article 5 ter introduit par le Sénart lors du vote de juillet avait étendu ce mécanisme de transferts partiels pour les compétences eaux pluviales et urbaines et Défense Extérieure Contre l’Incendie [DECI]. La commission des lois n’était pas revenue sur ce point. L’Assemblée nationale non plus.
Des précisions sur le cadre d’expérimentation de la taxe « PI » des EPTB
Introduite par le Sénat en première lecture, l’expérimentation d’une taxe « Prévention des Inondations » [PI] levée directement par les Etablissements Publics Territoriaux de Bassin [EPTB] n’avait pas été remise en cause par la Commission des lois. L’Assemblée nationale maintient également cette expérimentation.
Pour rappel, l’article 5 sexies A du projet de loi prévoit, à titre expérimental et pour une durée de cinq ans, la possibilité pour les EPTB de substituer aux contributions de leurs membres le prélèvement d’une taxe en vue du financement de la compétence défense contre les inondations et contre la mer visée à l’article L. 211-7 I 5° du code de l’environnement. Il s’agit d’un changement d’approche notable puisqu’à ce jour, la taxe GEMAPI ne peut pas être levée à l’échelon syndical, mais uniquement à l’échelle des EPCI-FP. A l’instar de la taxe GEMAPI, cette taxe « PI » sera assise sur la taxe d’habitation, les taxes foncières et la cotisation foncière des entreprises.
L’institution et le produit de cette taxe devront quant à eux être approuvés par le comité syndical de l’EPTB conformément aux dispositions de l’article 1639 A du code général des impôts, avec toutefois un droit d’opposition au bénéfice de chaque adhérent.
Rappel des grands oubliés de la réforme territoriale…
… Exit la possibilité de transferts à la carte de compétences facultatives des EPCI-FP
Le mécanisme des compétences à la carte de l’article L. 5212-16 du CGCT est un mécanisme bien connu pour les syndicats de communes ou mixtes et qui permet d’adapter le niveau d’adhésion de chaque adhérent pour une même compétence syndicale. Le texte voté au mois de juillet 2021 par le Sénat avait introduit un zeste d « à la carte » pour ce qui est des compétences facultatives des EPCI-FP, cela afin de permettre une intercommunalisation à périmètre variable de ces dernières. Ce point avait toutefois été abandonné par la Commission des lois et l’Assemblée nationale n’est pas revenue dessus.
…. Exit aussi la conférence Etat – collectivités territoriales et le Comité Etat-régions
Le Sénat avait introduit un article 3 quater relatif à la création d’un comité Etat – régions chargé de veiller à l’harmonisation des actions de l’Etat et des régions, ainsi qu’un article 4 quater relatif à la création d’une conférence de dialogue Etat -Collectivités Territoriales chargée non seulement de donner un avis sur des cas complexes d’interprétation des nomes et de mise en œuvre de dispositions législatives ou réglementaires, mais aussi chargé de remonter les difficultés éprouvées par les acteurs locaux et d’émettre des propositions de simplification. Ni l’une, ni l’autre de ces instances n’a été maintenue par la commission des lois et l’Assemblée nationale.