Quand une convention privée fait obstacle à l’exercice du droit de préemption

/ juin 24, 2022

Par une décision du 19 avril 2022 rendue en référé, mentionné au recueil, le Conseil d’Etat a été conduit, pour une fois, à faire primer l’application d’une convention de droit privé sur l’exercice d’une prérogative exorbitante du droit commun, le droit de préemption.

Dans cette affaire, deux sociétés avaient conclu des baux à construction sur des terrains appartenant à un propriétaire privé, en 1988.

Chaque bail prévoyait que le preneur était titulaire du droit de propriété sur les constructions jusqu’à l’expiration du bail, date à laquelle le bailleur récupérait ce droit de propriété et reprenait possession du foncier.

En outre, le preneur disposait d’une promesse de vente portant sur le terrain, à lever avant l’expiration du bail. Dans cette hypothèse, le preneur devenait donc propriétaire du foncier et conservait la propriété des constructions.

La propriété était donc partagée en deux pendant la durée du bail – les constructions pour le preneur, le foncier pour le bailleur – et destinée à être réunie entre les mains du preneur ou du bailleur à l’issue du bail, selon que l’option soit levée ou non.

Les preneurs ayant décidé de lever l’option d’achat en 2019, une déclaration d’intention d’aliéner était adressée en mairie. La Commune de Mandelieu-la-Napoule décidait alors d’exercer son droit de préemption pour acquérir les terrains en lieu et place des preneurs.

Le sort des constructions restait toutefois en suspens. En effet, la déclaration d’intention d’aliéner ne portait que sur le foncier, dès lors que les preneurs-acquéreurs disposaient déjà de la propriété des constructions. La préemption était donc limitée au foncier.

Les stipulations contractuelles avaient prévu ce cas de figure, en imposant au titulaire du droit de préemption d’acquitter le prix des constructions, en sus de celui du foncier. Ces stipulations restaient toutefois inopposables à la commune, conformément à l’effet relatif des contrats.

Fallait-il inclure l’acquisition des constructions dans le périmètre de la préemption, ce qui posait la question du prix de vente, ou les en exclure, au risque de conduire à un enrichissement sans cause de la commune qui, in fine, aurait pu récupérer la propriété des constructions sans en avoir acquitté le prix ?

 

La mécanique juridique voudrait que la deuxième option prévale. C’est en tout cas ce qu’a suggéré le rapporteur public, en renvoyant sur ce point à une étude de référence datée de 1990, selon laquelle il doit être considéré que la cession opérée à l’occasion de la préemption a pour effet de mettre fin au bail à construction et, incidemment, de réunir entre les mains du bailleur-cédant la propriété du foncier et des constructions. Le titulaire du droit de préemption, bien que n’ayant acquis que le terrain, devient donc également le propriétaire des constructions édifiées sur ce terrain, revenues gratuitement dans le patrimoine du bailleur au bénéfice des stipulations du bail à construction. Le preneur et acquéreur évincé ne pourrait alors être indemnisé que si les stipulations du bail le prévoient.

Tel n’est toutefois pas le raisonnement retenu par le Conseil d’Etat. Celui-ci, suivant en cela les conclusions du rapporteur public, considère que l’exercice du droit de préemption ne fait pas disparaitre le bail à construction. L’autorité préemptrice devient donc le titulaire du bail à construction en lieu et place du bailleur-cédant et est donc tenue d’exécuter toutes les stipulations du bail, y compris la promesse de vente.

Le Conseil d’Etat en conclut que la commune devrait faire droit à son tour à la promesse de vente, en considérant que le preneur conserverait tous les droits attachés à son bail ainsi que le bénéfice de sa décision de lever l’option d’achat.

Il en résulte que, selon la haute juridiction, la commune ne serait pas en mesure de mener à bien le projet qui motivait sa décision de préemption et en conditionnait la légalité. Dans ces conditions, le Conseil d’Etat estime qu’un doute sérieux pèse sur la décision de préemption et valide donc la suspension de son exécution.

 

Bien que cette décision soit très intéressante et présente une approche nouvelle de la relation entre le droit de préemption et le bail à construction, elle peut néanmoins interroger et ne parait pas devoir constituer la jurisprudence définitive sur cette question. En effet, le Conseil d’Etat considère que le projet d’intérêt général motivant la décision de préemption serait rendu impossible par l’effet de la promesse de vente au preneur, alors même que le bien resterait couvert par le droit de préemption après le transfert de propriété entre le bailleur-cédant et la commune.

Le juge administratif aurait ainsi également pu considérer que le preneur verrait sa levée d’option mise en échec autant de fois que nécessaire par l’exercice du droit de préemption, quand bien même cela conduirait la commune à se positionner en acquéreur de son propre terrain. La simple existence d’une promesse de vente ne semble pas un obstacle définitif à l’acquisition du terrain par la commune et, subséquemment, à la réalisation du projet d’intérêt général poursuivi.

Dans cette hypothèse, le sort des constructions serait réglé par les stipulations contractuelles, sous réserve de leur légalité. Une clause prévoyant le règlement d’un prix anormalement élevé pour les constructions en cas de préemption, qui aurait pour finalité de dissuader le titulaire du droit de préemption de poursuivre sa mission d’intérêt général ou de spolier le Trésor public pourrait ainsi valablement être discutée devant le juge du contrat.

Une telle solution aurait présenté l’avantage de ne pas ouvrir à la porte à un contournement du droit de préemption et à la mise en échec de l’action publique au profit d’intérêts privés, ce qui semble davantage conforme à la volonté du législateur.

Références :
Décision

Conclusions du rapporteur public

 

Marceau DUBOS - Avocat

Marceau DUBOS - Avocat

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